Quand ma pensée s'en va vers l'Afrique du Nord
Je me sens tout à coup bourré de remords
Que l'Algérie soit une province française
C'est évident, bien sûr... Bien qu'à tous cela ne plaise
Que des hommes aient fait d'un bled qui n'était rien
Ce beau pays Algérien,
Nul ne peut dire le contraire.
Et savez-vous qui furent les grands-pères?

Vous seriez étonnés d'en apprendre les noms
Oui Vaillant est Sétois, René Paul est breton
Mais moi, pur parisien, je suis de Kabylie.
Je suis natif d'El Ksour, à deux pas de Bougie
Et notre Roméo, oui Roméo Carlés
II est natif d'Oran ou de Sidi-Bel-Abbès...
Tenez Colette Mars, encore une Algéroise...
Et le Maréchal Juin (Académie Française)

Est aussi de là-bas, comme Pierre Blanchard.
Et le clown Zavata..., et l'auteur Paul Achard.
Des acteurs honorant la Comédie Française.
Aimé Clariond, Bertheau sont de souche Française
L'écrivain Paul Vialar, Yvon Vincent aussi.
Marie-José, Françoise Arnoul et Rossetti...
Vous ne vous doutiez pas d'une telle série.
D'artistes parisiens produits par l'Algérie...

Oui, vous la connaissez si mal en général...
Mais Alger c'est Bordeaux ou Marseille ou Laval,
Oran ? Mais c'est Strasbourg à moins que ce soit Lille
Et Tours ou Chateaudun... disons Philippeville...
Seulement ces temps ci, il faut compter là-bas
Avec un mécontent... un certain fellagha !
Eh! petit fellagha, c'est à toi que je pense
En voyant ta rancune à l'égard de la France.

J'ai beaucoup réfléchi, et ma méditation
Me décide à venir te demander pardon.
Oui pardon fellagha, pardon pour mon grand-père
Qui vint tracer la route et labourer la terre
II est tombé chez vous, il a tout chamboulé :
Où poussaient des cailloux, il a foutu du blé.
Où poussaient des cactus il a fait un vignoble.
Pardon, cher petit fellagha.

0h pardon pour tous ces dégâts.
Et mon affreux grand-père, il faut qu'on le confesse
N'était pas seul de son espèce.
Ces autres scélérats ont bâti des cités.
Par surcroit de férocité,
Ils y ont installé l'eau, l'électricité.
Et tu n'en voulais pas. c'est la claire évidence.
Puisqu'avant qu'arrive la France.

Tu n'avais en dehors de la Casbah d'Alger,
Que la tente ou bien le gourbi pour te loger,
Et que tu t'éclairais à l'huile.
Nos maisons? Mais bien sûr, pour toi c'était la tuile :
Et l'électricité, là encore soyons francs,
Tu ne demandais pas qu'on te mette au courant
Tu t'es habitué à ces choses infâmes
Mais à regret... la mort dans l'âme...

Stoïquement d'ailleurs, supportant tous ces malheurs
Avec courage et bonne humeur.
Même tu engraissais - mais avec une mauvaise graisse
Car tu prenais le car (invention traîtresse)
Ce même car que, pris d'un délire divin,
Tu devais un beau jour, pousser dans le ravin.
Je comprends ta rancoeur, je comprends ta colère,
Tu n'es pas au niveau des arabes du Caire :
Tu gagnes et vis mieux qu'un fella égyptien :
A quoi Nasser ?... Nasser à rien !...

Nous avons massacrés tes lions, tes panthères,
Nous avons asséché tes marais millénaires.
Les moustiques sont morts... les poux... de Profundis...
Nous avons tout tué.... jusqu'à la siphilis !...
Ah pardon fellagha, pour de pareils carnages.
Nous avons fait tout ça... C'est bougrement dommage
Car si d'autres idiots l'avaient fait -inspirés-
C'est nous qui maintenant viendrions "libérer"
Et bouffer les marrons cuits par ces imbéciles.

C'aurait été moins long... et beaucoup plus facile !
Bien pardon, fellagha, de t'avoir mieux nourri,
De t'avoir vacciné pour le béribéri,
Et d'avoir à tes pieds nus, mis, oh ! maladresse,
Des souliers... dont tu voudrais nous botter les fesses.

Christian VEBEL (1960?)