Ce jour-là, je rejoins l'équipage américain du «
Maraudeur 678 " américain afin d'effectuer une reconnaissance
météorologique , précédent l'attaque de MONTE-CASSINO.
Nous décollons à l'aube de la base sarde de DECIMOMANI et
nous parvenons au dessus de la baie de NAPLES, à GAETE quand le
soleil
se lève dans un ciel absolument pur. Nous volons à 2.500
mètres afin de relever la dérive et de noter les températures.
Tout est calme.
Soudain, un hurlement du mitrailleur de tourelle nous fait sursauter :
"Germans figthers " "Germans figthers" "Germans
figthers "... at twelve o'clock..
Assis entre le pilote et le co-pilote, je distingue assez mal, puisque
face au soleil, quatre « Messerschmitt" (chasseurs à
réaction) à haute altitude. C'est le début d'un branle-bas
de combat inégal dont l'issue, quant à moi, ne fait aucun
doute. Les chasseurs se scindent en deux formations et l'attaque commence.
Le premier couple inaugure le ballet et foncent littéralement sur
nous avec leur vrombissement lugubre caractéristique. Nous entreprenons
alors une chute libre plutôt qu'une descente, dans un vacarme infernal,
dépassant largement les limites de sauvegarde du variomètre.
Les moteurs vont exploser et les ailes se détacher; il me semble
que le Maraudeur va se désagréger . Pendant ce temps, le
mitrailleur de tourelle entreprend un monologue caractéristique
destiné au pilote : "Caution". .." Caution".
.." Caution" scande-t-il d'une voix forte, suivi d'un énorme
« Fire".
C'est le signal qu'attend le pilote pour précipiter l'appareil
vers le bas, à droite ou à gauche, afin d'éviter
le rideau des balles ennemies. A chaque attaque, je peux voir un chapelet
dense de balles dont certaines, traçantes, auxquelles nous venons
d'échapper. Malheureusement, pas à toutes puisqu'une grêle
inquiétante nous
signale de dangereux impacts.
Le cauchemar n'en est qu'à son prologue. A peine récupéré
de sa chute volontaire par nos valeureux pilotes, le "Maraudeur "va
subir l'attaque des deux autres « Messerschmitt » qui foncent
à la curée tandis que le mitrailleur de tourelle reprend
inlassablement son leitmotiv « Caution ». ..« Caution
». ..« Caution ». .. Fire » et que notre Maraudeur
va replonger dans un improbable salut.
Le même scénario reproduit les mêmes effets mais la
densité de la grêle meurtrière s'accroît ...
Combien de passages avons-nous subi: six, sept, huit ? Les chasseurs redoublaient
d'activité au fur et à mesure que nous nous rapprochions
de la mer. Ils cessèrent de nous harceler quand nous ne fûmes
qu'à une dizaine de mètres de l'eau. Il faut savoir qu'un
minimum d'une centaine de mètres de ressource est indispensable
à ces chasseurs sans quoi le redressement est impossible et la
chute inévitable.
Débarrassés de notre effrayant péril, l'angoisse
ne fut pas terminée. Le copilote et moi-même furent plongés
dans des visons de cauchemar. Le navigateur, hagard, hébété,
pris par un tremblement incoercible, était à la limite de
la démence. D'une pâleur de mort, lesyeux exorbités,
il s'était réfugié sous une planchette mobile de
travail et resta obstinément sourd à nos réconforts.
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Un spectacle plus dramatique nous attendait plus loin:
nous dûmes délivrer le mitrailleur de tourelle de ses sangles.
Malgré son casque, il avait reçu une balle en plein front.
Couvert de sang, il gesticulait proférant des onomatopées
presque inaudibles. Le malheureux mourut dans un état d'exaltation
pénible à supporter. A vitesse réduite, nous avons
rejoint la base de DECIMOMANU. Je voyais sur les ailes de larges traînées
d 'huile noirâtre faisant craindre le feu à un moteur à
tout moment.
A notre arrivée, les secours,(pompiers, ambulances etc...) nous attendaient.
Le train d'atterrissage étant endommagé, le sang-froid et
la dextérité du jeune pilote (30 ans environ) évitèrent,
une fois de plus, la catastrophe .
Ce fut ma première mission de guerre. ..
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Pour finir, je vous livre le sujet d'une méditation qui occupe
encore mon esprit .
Après que j'eus félicité les pilotes pour leur courage,
leur sang-froid et la maîtrise de leur comportement tactique pendant
les raids meurtriers, à ma question: « Avez-vous déjà
été confronté à des attaques similaires ?
». Leur réponse m'a plongé dans des abîmes méditatifs.
« Non » dirent-ils ensemble. Nous n'avons fait qu'appliquer
les consignes enseignées à l'entraînement ».
N.B. Pour cette mission périlleuse, l'équipage américain
a été décoré de l'Air MEDAL.
Etienne MUVIEN
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