Ce
lundi 13 décembre 2004 accompagné de mon cousin Claude qui
me servait pour la circonstance de chauffeur je suis parti d'AJACCIO à
la recherche d'un vieux copain de quartier perdu de vue depuis plus de
quarante ans. Il me fallait pour cela me rendre à SOLARO près
de SOLENZARA en Haute-Corse sur la côte orientale de l'île
vérifier si les deux adresses que j'avais relevées sur l'annuaire,
il y a de cela plus d'un an, me permettrait de résoudre, une fois
pour toute, le mystère Bernard MERLE DES ISLES. Nous avons pris
la direction de BASTIA puis nous avons mis le cap sur SOLENZARA, avons
passé l'embranchement, sur la droite, du village de SOLARO situé
sur les hauteurs, où j'ai observé qu'une Mairie annexe de
ce petit patelin se trouvait à cet endroit et qui nous sera fort
utile pour la recherche de la famille de Bernard MERLE DES ISLES.
Le lendemain nous avons pris la direction de SOLARO. Nous nous sommes
arrêtés à la Mairie annexe et j'ai demandé
aux personnes présentes :
''Pourriez-vous me dire où se trouve le lieu-dit Puzzone, s'il
vous plait ?''
''C'est ici Monsieur'', me répond une charmante brune bien piquante
dont mon cousin me dira plus tard que vue de profil elle présentait
de délicieuses courbes tant en montagne qu'en plaine. ''Vous cherchez
quelqu'un ?''
''Oui, je voudrais savoir où se trouve le Sampiero ?''
Se tournant vers la fenêtre et me montrant un petit immeuble bordant
la Nationale elle me répond :
''Vous voyez, c'est cet immeuble à environ 200 mètres''.
Et nous voilà partis à l'abordage des MERLE DES ISLES. Le
Sampiero est un petit immeuble présentant un rez-de-chaussée
et un étage. Il est flanqué à l'arrière et
sur le côté gauche en regardant l'immeuble de face à
partir de la Nationale d'une petite baraque de plain-pied tout ce qu'il
y a de plus sobre et sans aucun cachet. C'est d'abord dans cette direction
qu'en voiture nous nous sommes dirigés pensant trouver les portes
d'entrée de ce côté à l'arrière de l'immeuble.
Je pense tout de suite aux deux noms trouvés, en septembre 2003,
sur l'annuaire Marie-Laurence au Sampiero, et Adrienne sans autre précision
sinon, pour toutes les deux, le lieu-dit Puzzone. À ceci près
cependant que Jean-Jacques MERLE DES ISLES m'avait confié, quelques
mois plus tard, lors d'une conversation téléphonique quand
je lui avais fait part des adresses trouvées dans l'annuaire des
PTT qu'Adrienne était sa belle-sur, ce qui était,
à mon avis la seule information digne d'intérêt venant
de sa part. Je pensais qu'à cet instant j'étais arrivé
près du but. Nous revenons sur le devant de l'immeuble. Je descends
de voiture et me dirige vers une petite fille présente lors de
notre arrivée et qui se dirigeait vers une porte vitrée
que je n'avais pas remarquée. Je lui demande si elle habite la
maison. Me répondant par l'affirmative je lui précise :
''Y a-t-il un monsieur MERLE DES ISLES habitant l'immeuble ?''
''Oui''
''À quel endroit ?''
Et elle me montre la porte vitrée ''Là !''
''Il y a quelqu'un ?''
''Oui, mon papa''
''Tu peux aller le chercher ?'' Elle acquiesce, entre dans l'appartement
et revient accompagné d'un jeune homme, genre sportif, bien baraqué
(tout le contraire de ma pomme), les cheveux blonds, paraissant un peu
plus trente ans, d'un abord sympathique et ouvert. Il me demande de quoi
il s'agit. Je me présente en lui tendant la main qu'il me serre
et lui demande s'il connaît un Bernard MERLE DES ISLES. Tenez-vous
bien car la réponse est inimaginable :
''Le père ou le fils ?'' Et voilà que j'en avais deux pour
le prix d'un ! Cela valait le coup de faire ce long déplacement.
Je lui rétorque en lui montrant mon visage orné d'une moustache
et d'un bouc (pas l'animal espèces d'animaux mal embouchés
!) bien blanchis par les années :
''Je pense qu'il devrait s'agir du père si vous me regardez bien''.
''Eh bien, suivez-moi il doit être là'' Tout content de sa
proposition, honnête dois-je le préciser, et on le serait
à moins dans la mesure où chaque réponse positive
semble me rapprocher de mon objectif, je le suis, en lui annonçant
que je viens à titre amical et personnel et qu'en aucun cas je
ne suis mandaté par un quelconque membre de sa famille. Soudain
je l'arrête, vous pensez peut-être que j'appréhende
de me trouver face à un homme que je n'ai pas vu depuis plus de
40 ans et que je recule ; non, vous n'y êtes pas du tout, je l'ai
stoppé dans son élan pour lui présenter mon cousin
Claude, en m'excusant de ne pas l'avoir fait plus tôt. Et nous voilà
nous diriger vers la petite maison (dans la prairie, mais oui !) dont
je vous ai entretenu un peu plus haut.
''C'est là qu'il habite'', me dit-il. Je pense encore un peu plus
que j'approche du but. Et je suis surpris de me sentir si calme en cet
instant. Je ne me pose même pas la question de savoir comment, et
dans quel état, je vais retrouver un camarade d'enfance et de quartier
disparu depuis tant de temps. Je n'ai même pas songé au fait
qu'il pouvait refuser de me voir, d'abréger la rencontre en me
faisant comprendre que pour lui le passé était mort, qu'il
ne voulait plus revenir en arrière, qu'il ne voulait plus souffrir
de cette situation et
peut-être qu'il avait d'autres chats
à fouetter. On arrive alors devant l'entrée de la petite
maison.
''Ho ! Ho ! Il y a quelqu'un'' demande Bernard, le fils bien entendu ;
enfin je ne crois pas puisque personne ne répond. Il se retourne
vers moi et me dit qu'il va aller faire un tour à l'intérieur
(il faut faire attention à ce que l'on dit, on risque d'y trouver
l'ombre de SARKOZY). Il revient au bout d'un temps assez long en compagnie
d'une dame qu'il me présente comme étant sa mère
et je n'ai aucune raison de douter de sa parole. Je m'empresse de la saluer
en lui faisant une petite courbette (de la tête seulement, mais
qu'allez-vous croire, je ne suis pas une danseuse de bastringue) histoire
de me mettre dans ses petits papiers. Je me présente à mon
tour ainsi que mon cousin en tant que spectateur muet d'un film parlant,
n'est ce pas Cloclo ?
''Eh, bien voilà, lui dis-je, je suis à la recherche de
Bernard MERLE DES ISLES depuis trois ans et je pense être arrivé
au bout du chemin, n'est-ce pas ?''
''Oui, je crois'', me répond-elle.
''Madame MERLE DES ISLES, je viens à la rencontre de votre mari
à titre tout à fait personnel, comme j'en ai déjà
fait part à votre fils. Ma démarche s'inscrit dans une volonté
d'anciens copains de quartier, d'école et d'autres lieux, de retrouver
tous ceux qui manquent et à qui nous voulons apporter le témoignage
de notre ancienne camaraderie et de bien vouloir renouer les liens déchirés
par un passage douloureux de notre existence sans vouloir recréer
ce qui ne peut revivre. Nous avons réussi à retrouver beaucoup
de ces copains qui se sont fait une joie de renouer cette amitié
qui se trouve aujourd'hui confortée et embellie malgré ces
nombreuses années de brouillard. Oh, il est arrivé que quelques
uns n'aient pas voulu aller plus loin que cette approche pour diverses
raisons : peur de revivre de mauvais souvenirs, peur de ne plus sentir
de chaleur amicale, peur d'avoir trop vieilli dans la tête ou dans
le corps ou tout simplement d'avoir tiré un trait définitif
sur son passé. Mais il faut tenter tout ce qu'il est possible de
faire. À titre personnel, dès 1986, j'ai essayé de
retrouver la famille MERLE DES ISLES, sans succès, malheureusement,
puisque les trois seuls frères dont je me rappelais les prénoms,
Henri-Pierre, l'aîné, Bernard, votre époux et Jean-Jacques
ne figuraient pas dans les annuaires téléphoniques successifs
que j'ai souvent consultés. Puis il y a trois ans, en 2001 donc,
au hasard de nouvelles rencontres cimentées par un désir
commun, Hervé CUESTA m'a demandé de relancer la recherche
mais toujours pas de possibilités de voir apparaître par
magie un membre de cette famille. On a eu quelques espoirs notamment à
BIGUGLIA où demeure un Pierre-Jean MERLE DES ISLES, pied-noir d'origine,
apparenté à un ancien de DORDOR, Jacques PERRI, mais il
n'avait rien à voir avec votre famille. Nous commencions à
désespérer quand soudain fin août 2003 Loïc MERLE
DES ISLES, le fils d'Yves, entre en scène en se faisant connaître
de l'administrateur du site ''alger-roi.net'' Bernard VÉNIS, lequel
aussitôt nous en fait part à Hervé CUESTA et à
moi. Après de longs échanges avec Loïc, qui le premier
nous a mis sur votre piste en vous situant en Corse, nous en étions
toujours au même point jusqu'à mon arrivée fin septembre
à AJACCIO. Je m'étais juré de faire un saut à
SOLARO et d'en avoir le cur net. Voilà la raison de ma présence
ici. Je vous remercie d'avoir bien voulu m'écouter et je précise
que ce n'est pas la famille de Bernard qui me mandate auprès de
lui. "
Après ce long discours Mme MERLE DES ISLES et son fils nous disent
qu'à cette heure Bernard est à la pêche au port de
SOLENZARA, d'où nous venons, et après les avoir remercié
nous rebroussons chemin et partons à la recherche d'une R19 blanche.
À notre arrivée au port de plaisance, on essaie de repérer
la voiture. Puis on avance, je signale que nous sommes en voiture et que
nous roulons à la vitesse d'un escargot parti à la chasse
à la salade, on se dirige vers la jetée. Il y a bien une
voiture blanche que me signale Claude mais avec le haillon ouvert je ne
suis pas capable d'en reconnaître la marque. En nous approchant
je vois bien un pêcheur penché sur ces lignes, j'essaye de
le distinguer, mais rien à faire pour dire si c'est Bernard d'autant
plus que je le vois de profil. Nous passons au ralenti devant la voiture
qui s'avère être une R19 blanche. Je demande à Claude
de s'arrêter, ce qu'il fait promptement ; je descends et rebrousse
chemin. Le pêcheur lève la tête et me regarde. Et là
mes enfants, à travers le pare-brise, je reconnais Bernard. Tout
en m'approchant je lui lance :
''Ça mord ?''
Je l'entends me dire ''Non''. Il me regarde pensant que je suis un emmerdeur
et qu'il en a fini avec sa relative tranquillité. Plus je m'approche
de lui et plus je retrouve ses traits tels qu'il les avait à un
peu moins de vingt ans mais ce qui saute à mes yeux c'est le bleu
des siens et quand je dis bleu, c'est l'azur par beau temps. Je reformule
une demande histoire de combler les quelques mètres qui nous séparent
:
''Vraiment rien ?'' et là je sens que je l'excède. Il se
tourne vers ses cannes et sans me répondre il secoue la tête.
C'est le moment où je sens que je vais lui asséner la première
botcha. Je suis à ses côtés maintenant et alors qu'il
est toujours à contempler ses cannes je lui balance :
''Pas de chance, n'est ce pas Bernard ?''
Il se retourne vers moi, m'examine et me demande si on se connaît.
Je lui rétorque que si je l'appelle par son prénom c'est
que c'est le cas et je lui dis :
''Tu ne me reconnais pas''. Il réfléchit longtemps me regardant,
m'examinant, levant parfois au ciel ses yeux d'un bleu d'azur (oui, je
sais je me répète, mais quoi dire d'autre ?), revenant vers
moi, secouant négativement la tête puis avouant son ignorance.
Pour taquiner le goujon (vous me direz que j'aurais pu choisir une dorade
à la place et vous auriez eu raison puisque nous sommes au bord
de mer) j'essaie de bromicher un peu :
''Dordor, cela te dit ? le hand, l'athlétisme, DAUMAS, CHABANIS
?'' Oui cela peut lui dire mais encore une fois il reste sans voix. Alors
pour ne pas laisser perdurer cette situation de mutisme je me permets
de lui asséner la deuxième botcha :
''Allez je ne vais pas te faire attendre plus longtemps, SOLER !'' Alors
là, ça lui en a fichu un autre coup. Il m'a sauté
au cou tout simplement et je me suis reculé un tout petit peu car
ce n'est plus le Bernard d'antan, mince dans nos mémoires, non
c'est devenu un costaud, un vrai de vrai (ce n'est pas non plus Mike TYSON,
qu'on se le dise). On s'est embrassé comme il convient dans ce
genre de retrouvailles et le passé a dû lui monter soudain
à la tête. On a parlé de tout et de rien, je lui ai
fait un topo de nos recherches pour le retrouver et je n'en referais pas
la narration. De son côté il m'a appris qu'ils s'étaient
installés dans le coin depuis 2002, en provenance de la région
niçoise, qu'il est à la retraite depuis mai 2002, et que
son fils Bernard depuis trois mois était venu les rejoindre avec
sa petite famille. Et alors là je lui ai posé la question
qu'il ne fallait pas poser mais allez savoir ce qu'il faut dire ou ne
pas dire dans ces occasions :
''Dis-moi Bernard, qu'est-ce qu'il t'a pris de venir t'installer à
la retraite dans le pays de mes ancêtres ?'' Il y a eu un silence
puis il m'a annoncé que c'était une affaire de circonstances
: un ange est passé. Et dans ces cas-là mieux vaut abréger.
Claude et moi lui avons manifesté toute notre sympathie d'avoir
choisi notre île. J'ai aussitôt appelé Hervé
pour les mettre en relation. Deux photos ont été prises
pour immortaliser l'évènement. À l'issue de ce dialogue
je n'ai pas voulu rester plus longtemps et nous nous sommes séparés
en lui rappelant de rester en contact si cela lui était possible.
Arrivé à la sortie du port je me suis aperçu qu'il
nous faisait au revoir. Claude a stoppé et nous lui avons rendu
son salut.
Salut petit frère que Dieu te garde, toi et ta famille vous en
avez suffisamment bavé !
Jean SOLER.
RUEIL-MALMAISON, le 01/02/2005
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