Nous voilà 18, rue Levacher. Au-dessus de l'école Dordor, proche du centre ville, de la rue Rovigo et de la rue d'Isly. Nous y habitons ma mère, mes frères et moi depuis notre dernier déménagement du quartier de Belcourt à la fin des années 40.

Nous sommes inscrits à l'école Dordor, rue Levacher. Des cours élémentaires jusqu'au BEPC, nous y resterons jusqu'au moment ou nous rentrerons dans la vie active. Moi, au Cie d'Assurances Générales " André COSSO ", 33, rue d'Isly, mon frère Yves comme apprenti prothésiste dentaire.

Dans leur jeunesse, jeunes adolescentes, ma mère Hermine et sa sœur Jeannette ont été apprenties modistes à tirer l'aiguille et le feutre chaud dans un atelier sombre. Elles s'installent ! HERMINE et JEANNETTE modistes, voilà ce que l'on peut lire sur une modeste pancarte au bas de l'immeuble, au 18 de la rue Levacher. Petits revenus pour les deux sœurs qui feront des chapeaux d'abord aux proches et ensuite à une clientèle plus étendue. J'ai encore en mémoire les images de vapeurs et d'odeur de l'eau chaude sur le feutre mis en forme.

" Lulu, Lulu ! " Lucien Coréman, le voisin de l'immeuble d'à côté au 16 de la rue Levacher. Il est dans la rue face à notre balcon, 10 mètres environ nous séparent. Il s'amuse à tirer avec un lance pierre sur des pigeons perchés sur les fils électriques ou pourquoi pas sur les lampadaires de la rue. " Lulu, Lulu ! " Je le défis ? " Fermes là où je t'envoie un coup de tawell (lance pierre en argot algérois) " Lulu, Lulu " Cà y est ! Vlan ! J'en ai eu le droit ! Au-dessus de l'œil droit : un œuf ! Sans rancune, c'est le jeu.

Mikalette (Michel mon grand-père) va à la pêche, sur les chalands dans le port d'Alger, face à l'Amirauté en bas de la gare de l'Agha. Un attirail simple et bizarre, cordes, fil de fer, hameçon dit "voleur ", hameçon de différentes grosseurs, Douk-douk (couteau pliant algérien) sardines pour l'appât et… marteau ? Il revient le soir sa gamelle vide de nourriture du midi, remplie de poissons pour la friture (bogues) et, un congre de 5 kg. Mère affolée "que vais-je faire de çà ? "Une bête de 1 mètre 50 ! Aucun ustensile de cuisine ne peut contenir ce monstre, une tête énorme. En fait, il s'agira de lui passer un nœud coulant depuis la tête et tout en serrant le glisser vers la queue, ce qui aura pour effet de ramener les arrêtes vers la queue et de jeter celle-ci après tronçonner ce serpent de mer. Fameux ! Cuisiné finement, c'est bon.

Il faut dire que le Ti-well, diminutif que je donne à Mikalette n'a pas fini de nous étonner ; voyez plutôt : le soir Mikalette met à sécher ces lignes de fond ayant servi à attraper le congre. Rien de plus simple, il s'agit de les mettre à sécher sur le balcon, au bord bien entendu ! Ma mère est de sortie, soirée cinéma avec Zézé les voilà revenant, horreur ! Un fil de pêche armé d'un gros hameçon appâté d'une belle sardine luit dans l'obscurité à hauteur d'homme. Malheur au chat qui aurait pu se prendre !

Ti-well m'amène à la pêche un matin. Levés tôt, nous avalons un bol de café au lait et un bout de pain. Le sac à pêche est prêt de la veille ainsi que la fameuse gamelle militaire contenant notre modeste repas pour le midi. A pied, nous descendons vers le port empruntant après la rue Levacher, la rue de Mogador, traversons la rue d'Isly.

Rue Colonna d'Ornano, les quais fourmillant déjà d'une activité de chargements et manutentions diverses. Grues immenses et wagons de chemin de fer grincent sur les quais encombrés. Enfin, nous voilà, nous sautons du quai sur un premier chaland, le traversons et sautons sur le suivant, jusqu'au moment où nous avons en dessous de nous à 1 mètre environ l'eau glauque du port. J'étais aux anges, avec mon grand-père. Déballage de ce matériel hétéroclite : fils, plombs, hameçons et sardines, un peu défraîchies. Il me monte un bas de ligne muni d'un voleur (hameçons multiples montés sur deux rangées autour d'un plomb, la première rangée retenant l'appât) Et me voilà à pied d'œuvre ! Ce n'est pas long, çà frétille au bout de la ligne, bogues en vue et à vue, l'eau étant assez claire pour apercevoir ces reflets d'argent que sont le dos des poissons. Je ferre et remonte ma prise : 2 à 3 bogues accrochées qui finiront sur un chiffon. Le grand-père pendant ce temps, de la même manière à tôt fait d'avoir de belles prises. La matinée se passera ainsi et l'heure du casse croûte nous verra tirer sur des bouts de pains accompagnés de beignets à la sardine ! La boisson ; de l'eau. La gamelle vide, les poissons y seront mis après avoir été nettoyés. Avant de partir, vers les 5 heures de l'après-midi, Mikalette calera ses lignes de fond pour pêcher le congre.

Stationné en bas de notre immeuble au 18 de la rue Levacher, un vieux camion à plateau. Transportant des arachides, le plateau déchargé de ses marchandises, il reste de manière coutumière, des cacahuètes crues décortiquées : un régal pour nous ! Nous voilà derrière le camion à nous goinfrer mes frères et moi. Merci le ping-pang pour ce régal.

Il fait chaud, c'est l'après-midi et nous avons des siestes imposées par la maman. Couchés dans nos lits-cages dans la salle à manger, où se trouve le lit du grand-père, nous attendons non pas le sommeil qui ne vient jamais à ces heures, mais le moment où nous serons libérés de ce supplice. En attendant, nous écoutons les bruits du quartier. Les pétarades des motos, les voitures, les marchands ambulants "aaabii ! " (Habits d'occasions, vielles pelures) "ITRIEER ! " (Vitrier) " LA TOMBE et TU TOMBES PAS " (bruits saccadés des grosses castagnettes métalliques des Noirs du sud qui dansent accompagnés de ce tintamarre pour invoquer les dieux de la pluie. Le forgeron qui bat l'enclume. Cet artisan se trouve en haut de la rue dans une espèce de tanière sombre et malodorante. J'ai toujours eu l'intention de lui rendre visite, mais la trouille, il m'effrayait avec sa figure poilue et roussie, le buste ceint dans un grand tablier de cuir avachi. Aussi, je ne faisais que passer devant son estincot.

Dans la cave de l'immeuble nous avions un box, un trou noir avec une porte. Pour en avoir l'accès, il fallait se rendre au rez-de-chaussée en bas de l'escalier desservant l'immeuble. Sous cet escalier, une pompe à main qui devait autrefois desservir les occupants en eau potable tirée d'un puits. La cave, une porte donnant sur une volée de marches, une odeur de moisie dans l'obscurité. Les araignées, les cafards et autres bestioles… peur, je n'y allais qu'avec mon grand-père, Mikalette. Une bougie dégoulinante dans la main, et à la lueur jaunâtre de cette flamme vacillante, nous poussions la porte de notre cave. Du bois, beaucoup de déchets de caisses et autres chevrons. Pourtant nous n'avions pas de poêle pour nous chauffer l'hiver ; mais l'habitude des économies. D'ailleurs tout ce que Grand-père pouvait ramasser dans la rue était entassé dans cette cave. Et là ! Une voiture rouge à pédales ! Je la découvrais, je l'avais déjà vue sur de vielles photos du temps où j'étais bambin. Elle m'avait été offerte par le grand-père Michel. Un jour je lui demandais de la monter à " la maison " Il l'a fait ! Fébrile, je m'installe, les mains sur le volant en fer, les pieds sur les pédales … elle n'avance pas ! ? Je descends, la retourne, le pédalier est dessoudé ! Elle n'avancera pas mécaniquement : déception, mes frères me poussent pour avancer dans la salle à manger. Finalement elle redescendra à la cave.

Kiki, le chien. Ma mère voulait un chien ou alors c'est moi ? Je ne sais pas ; et voilà, il arrive moyennant finances auprès d'un "indigène " Kiki, la hantise de la concierge, Mme Epinard ( ! ) A qui je payais le loyer mensuel de l'appartement que nous occupions 18, rue Levacher.

M. et Mme Gay, se sont les épiciers, à 50 mètres de chez nous plus bas dans la rue. Heureusement que nous les avions ces gens, car la plupart du temps, fauchés, nous achetions à crédit notre alimentation quotidienne. Elle marquait sur un cahier, Mme Gay, et à la fin du mois, maman avec sa maigre paie de bibliothécaire s'acquittait de ses dettes.

Le cinéma de la douane, quelques fois le jeudi, si nous avions les 3o F (anciens francs) prix de l'entrée, nous allions assister à une projection dans une salle réservée à cet effet pour les enfants de l'administration des douanes. Mais enfin, ayant tenté une fois de nous glisser avec mes frères et cousins dans la file des gosses attendant impatiemment que le préposé autorise l'entrée, moyennant finance. A mon avis, ce douanier ou autre n'était pas dupe mais laissait faire.. Que de films d'aventure et de Laurel et Hardy ; Du ciné pas cher. Mais voilà, les 30 F, il fallait les avoir ! Ce n'est pas notre mère qui pouvait nous les donner. Alors, la débrouille. Je collectais les vieux journaux et les vendais à " Gaindoulze " Gaindoulze, un boutiquier dans la rue St Augustin, en face de la boucherie chevaline tenue par les frères Nietto, vendant de tout : bazar, papeterie, petits jouets, mercerie, librairie … il m'est arrivé de vendre aussi des livres de la bibliothèque ou d'école pour nous faire des sous. Quant la fortune nous souriait, soit la valeur de 5oo francs, j'achetai un petit jouet pas cher en métal : Petite voiture en tôle pliée ou pistolet à flèche..

Rue St Augustin, après la boucherie Nietto, Blanchette, un Noir du sud algérien tenait un petit commerce de salaisons : olives, anchois, harengs saurs, sardines fumées et sèches, céréales de toutes sortes. Je le revois encore la bouche entrouverte mâchant une olive et se suçant les dents aurifiées.

En bas de la rue Levacher il y avait Brahim Yayaoui, autre épicier, imposant, gras et huileux, mozabite ( originaire du sud algérien habitant des oasis) Il faut savoir que les mozabites étaient, et le sont peut-être encore des commerçants redoutables. Finauds et retords, accumulant de l'argent pour l'envoyer dans le sud dans le but d'acheter des terres et des palmeraies, culture des dattes notamment. Je faisais des affaires avec Brahim, bandit sympathique à mes yeux. Après un marchandage (il adorait ça), j'arrivais à lui " arracher " 3 boites de camembert pour le prix d'un. Arrivés à la maison, les " camenflates "auraient pu quelques fois retourner chez Brahim tellement ils étaient " faits " il y avait des petits vers blancs qui sautaient dans le papier défait de l'emballage ; ça crépitait.. On les écartait avec la pointe du couteau, étalions le fromage sur une tranche de pain et …miam ! Nous aimons toujours les camemberts bien faits, mais sans habitant, maintenant.

Dédewe, c'est mon frère cadet, alias Yves. Téméraire comme nous, faisant le bonheur des pharmaciens guérisseurs de plaies et bosses multiples ; quant il ne fallait pas lui recoudre la tête. Nous l'amenions en courant chez le docteur Manfrédi, médecin de la famille, rue Rovigo. Dédewe, intelligent mais réticent aux études à l'école ; plus tard il fera carrière et réussira dans sa profession de Prothésiste dentaire et ensuite des membres tels que bras, mains ; doigts, pieds etc.. Il mettra au point un procédé unique pour travailler les résines.

Avenue Gandillot, là où habite Milou, ami d'enfance. Bouteiller Emile de son nom ; son grand-père était déjà l'ami de notre père. Oui, avenue Gandillot là où la première fois nous avons vu un mort. Un suicidé ! Un désespéré, habitant au-dessus de chez Milou au sixième étage. Se tailladant les veines, le chapeau vissé sur la tête, enfoncé jusqu'aux yeux, s'étant assis au bord du balcon, il s'est jeté dans le vide pour s'écraser 15 mètres plus bas devant l'immeuble où nous avons l'habitude de nous arrêter pour siffler Milou afin qu'il descende nous rejoindre à faire les " quatre cents coups " Un voisin à couvert le corps d'une couverture, nous regardons le tas informe, impressionnés et partons en courant vers d'autres jeux plus marrants ( ! )

Par exemple, aller à la voirie pour nous défouler. " La voirie " en fait, c'est un dépôt de l'Equipement (DDE d'Alger) Situé à 500 mètres de la rue Levacher, après la rue Pirette ; c'est une impasse qui donne sur un petit jardin public donnant accès par des escaliers, au bout de ce jardin arboré d'Eucalyptus géants et magnifique, aux bâtiments du GG (Gouvernement Général) et à son immense place et jardin en espaliers. Jardin qui aura vu toutes nos escapades et courses de gamins turbulents, avec bien-sûr ses entorses de chevilles pour mauvais atterrissages après sauts des larges marches des allées gravillonnées. Mais revenons à la voirie avec ses citernes métalliques abandonnées et servant de refuges aux " Kilos " Ce nom est donné aux clochards alcooliques du quartier. Couturés de cicatrices, barbus et sales, attifés de costumes déchirés certainement récupérés dans les poubelles, ils nous font peur, même s'ils font partie du paysage. Des citernes couchées, ils en ont fait leurs abris de fortunes parmi les plantes sauvages, les caillasses et les aloès poussant en désordre dans ce territoire rendu à la vie sauvage. Et nous sommes là, bien sûr pour faire dans cet endroit notre principale base de loisirs. Courses effrénées, jeu de cachettes, tirs aux lances pierres (tawell) Quelques fois, nous sommes pris à partie par des voyous qui viennent nous provoquer en nous lançant des pierres. Aussi, nous ne restons pas inactifs et les cailloux volent de part et d'autre. Nous utilisons les " volantes ", ce sont des pierres larges comme des pommes de terre mais aplaties ; celles-ci ont l'avantage d'aller plus loin et d'être précises au tir. Bien entendu, nous utilisons aussi les tawells et là nous percevons quelques fois des " a ï e i ma ! " Tir au but.. et c'est le repli des adversaires, jusqu'à la prochaine fois.

Nous sommes seuls dans cette zone, et, nous avons des pétards ! Qu'elle aubaine, nous allons bien nous amuser. Des pétards dans les trous d'un muret, pour voir comment ça fait ; Il faut dire que se sont les gros pétards achetés auparavant chez Gindoulz. Boum ! Nous sommes contents du résultat, sommes-nous pas des dynamiteros ? Bon, d'accord mais ce n'est pas terrible finalement comme résultat. Nous nous en lassons, il nous faut autre chose pour finir les pétards. Et si ? Mais oui ! Là par terre dans un coin, au bord de la route.. Une belle merde croûtée à souhait dessus et certainement molle à l'intérieur. Tu parles, voilà autre chose ; je suggère que nous fassions exploser ce tas ! Une merde laissée par un de ces " kilo " Avec précaution, il ne faudrait pas qu'elle nous pète à la gueule ! Je plante un pétard dans la crotte et l'allume ; fissa les cousins ! Ça va payer ! Nous avons vite fait de nous planquer, tant pis pour celui qui traîne. Sommes à quelques mètres cachés derrière de gros blocs de pierre ou de gros tuyaux en ciment entreposés. Ca y est. Ravis nous allons assister au spectacle, s'ayez (çà y est) mais.. Mince, voilà qu'un bonhomme passe à l'instant ou BOUM ! Effarés, nous voyons en glissant un œil vers la victime, celui-ci s'épousseter d'un doigt merdique en jurant et tournant sur lui-même pour finalement apercevoir un des assaillants mal planqués. Injures, menaces, il essaie de nous attraper ; tu parles, une envolée de moineaux ; qui nous rattrape ? Nous passons nos journées à courir. Aussi, il abandonne. Mais voilà, nous ne serons pas longtemps tranquilles. Des motards, la police qui arrive. Nous reconnaissons dans l'un des motards " papa longue-jambes " nous courons vers la rue Pirette en criant à plein poumons " papa longue-jambes, papa longue-jambes " il fait demi-tour pour nous " choper ", les jambes traînant de chaque côté de sa moto. Mais nous sommes rapides et connaissons à fond le quartier. Nous nous engouffrons dans l'entrée d'un immeuble de la rue Pirette et dévalons les escaliers intérieurs pour déboucher quelques dizaines de mètres plus bas dans la rue Levacher (c'est une maison transversale qui permet de passer d'une rue à l'autre. Sauvés, papa longue-jambes ne nous aura pas encore.

Les cousins Monserra ; deux frères Pierre et Jacky. Pierre est celui qui était le plus souvent avec nous et le reste encore. A la voirie nous avons pratiqué à de nombreux jeux, notamment le "défi " et là c'était tordu et couru d'avance qu'il y aurait un problème. Pensez, il s'agissait de courir sur des buses en ciments rangées debout. Alors prenant le départ, nous courrions sur ces tuyaux en posant les pieds sur les bords en évitant le trou ! Evitez ? Non pas pour Pierre, la jambe s'engouffre dans le trou, le tibia râpant sur le bord rugueux de la buse. Résultat, un copeau de chair et la vision blanche de l'os ! Aïe! Direction Docteur Manfredi.

Plus calmes, nous allions au petit jardin, au bout de la voirie et nous ramassions les pollens des arbres eucalyptus afin de bourrer de petites pipes, achetées chez Gaindoulze, et en tirer quelques bouffées. Fallait voir les têtes, rouges et toussotantes ! Mais nous étions "grands."

La terrasse immeuble du 18 de la rue Levacher. En ce temps des années 50, nous n'avions pas de machine à laver le linge ; deux fois par mois et par roulement, nous allions prendre chez Mme Epinard, la concierge au 20 de la rue Levacher, la clé de la porte d'accès à la terrasse pour utiliser la buanderie. Ha ! Cette buanderie, j'en ai encore le souvenir, ses odeurs de lessives ses zingueries, la cuve de récupération des eaux de pluies. Ma mère y lavait notre linge et le faisait sécher sur des fils de fer tendus sur cette fameuse terrasse carrelée de rouge. C'était beau, parfumée cela sentait le propre.

Entourée à hauteur raisonnable de murets blanchis à la chaux, nous avions une vue éclatante sur une partie du port et de la mer d'un bleu inoubliable. Les grues géantes plantées sur les quais tendaient leurs bras griffus vers le ciel sans nuages. De l'autre côté, par-dessus les toits ou les terrasses, un panorama superbe s'étalait montrant les collines boisées d'eucalyptus et de pins. Combien de fois avons nous courus sur ces hauteurs dominant la baie d'Alger ! Nous dévalions les sentiers de chèvres, sautant pardessus les aubépines et les ronces.

Nous nous poursuivions en galopant dans les environs de notre quartier de la rue Levacher à la rue Dupetit-Thouars où habitaient nos cousins Cosme.
Près de chez eux, " au petit pont ", lieu habituel de nos jeux, il y avait une ancienne poudrière. Celle-ci non gardée par les militaires, située à flanc de colline, était entourée d'une rangée de fils de fer barbelés avec de temps à autres des pancartes signifiant le danger d'y pénétrer. Un jour, un gamin de nos connaissances habitant le quartier y a laissé quelques doigts de sa main droite. Allongé sur le sol, à l'aide d'un bâton, il avait réussi à faire rouler vers lui une grenade semi-enterrée. Nous avons entendu l'explosion et vu les gens accourir. Une chance qu'il fût allongé et sur un terrain en pente.

Ce " petit pont " faisait suite à un large escalier de nombreuses marches partant de l'avenue Gandillot pour arriver à la rue de Petit-Thouars. Essoufflé, celui qui empruntait cette montée reprenait des forces et du souffle sur ce petit pont avant de reprendre sa grimpette en ligne droite vers le quartier de " la Treille "
Rue St Augustin, sur le trottoir, en face du marchand de journaux après l'épicerie de Brahim qui fait l'angle de la rue il y avait plus haut, un atelier de confiserie qui fabriquait des chocolats glacés pour être vendus aux entractes dans les cinémas. Les " chocolats des cœurs " c'était la marque de ces bâtonnets enrobés de glace à la vanille et d'une croûte de chocolat. Comme toute fabrication, il y avait des imperfections au niveau de la présentation, et ces " esquimaux " étaient bradés, pas chers du tout, aux enfants du quartier.

Qui se souvient de Raphaël, RAPHAEL LE ROI DES TAILLEURS ! Il le disait souvent, à qui voulait l'entendre. Sa boutique située rue Rovigo plus bas que le Cadix, en haut des escaliers qui donnait à la rue des Tanneurs. De chez mes cousins Pierre et Jacky, nous le voyions souvent lire son journal assis devant sa vitrine, les pages du " Journal d'Alger " ou de " l'écho d'Alger " étalées devant son nez rehaussé de vieilles lunettes en écaille. Il était attirant dans sa position, attirant pour un tir de pistolets à plomb ! Ce que nous faisions bien sûr, planqués et à plat-ventre au balcon du 3ème étage de cet immeuble qui faisait face à lui.
Des injures et voilà Raphaël, le roi des tailleurs, qui traverse la rue, monte les étages et frappe à la porte ! Aïe! ça va allait mal ; Le père de Pierre, donc mon oncle ouvre la porte et entend les vociférations du roi tailleur ! La panique pour nous. Je me tire et Pierre reçoit. Seul puni de cette histoire, il ne dira pas que j'étais avec lui ….

Ah ! Souvenirs, dans ma mémoire, ils resteront ancrés longtemps et jusqu'au bout….