La famille ADAM |
Cette famille n' aurait sûrement pas inspiré les cinéastes.
Mais derrière le Cinéma MONTPENSIER, elle tenait une petite
fabrique de boutons. La boutique occupait une pièce de leur appartement
située au rez-de-chaussée. Des murs entiers couverts de
boites où Madame ADAM savait, sans hésitation, trouver les
montures nécessaires au travail du mari. Il confectionnait tous
les boutons possibles en tissu, ou autres matières. La commande
exécutée, ils nous rendaient jusqu'au moindre bout de tissu
inutilisé. Parfois Monsieur ADAM travaillait sous les yeux du client,
faisant et refaisant la pièce au moindre défaut. l' honnêteté
était, à l' époque, de rigueur chez beaucoup. |
NIASSA |
Devant le 45 , il n'était pas rare d'être pris à la gorge. D'âcres relents. Rien d'étonnant, NIASSA habitait au rez-de-chaussée. Son activité: les sortilèges. Certaines fois, l'odeur était plus agréable; celle de l'encens, mais encens pas très catholique. Pour préparer ses potions, elle sacrifiaent des caméléons. Après avoir été séchés au soleil, ils étaient transformés en poudre. Avec la protection animale, ma mère ne badinait pas. La sorcière absente, elle remarqua deux caméléons, la patte démesurément étirée, essayant de fuir par les fentes des persiennes. Elle coupa les ficelles. Tout le voisinage entendit la colère de NIASSA. Sur le champ, elle avait allumé son kanoun. Et une odeur encore plus forte que d'habitude se répandit. De quoi chasser le mauvais il ou le transmettre... Il y avait longtemps qu'elle savait la manière de penser de sa voisine au sujet de la sorcellerie. Les caméléons, tirés de ce mauvais sort, ont fini leurs jours au milieu des lentisques et des cyprès, sur les hauteurs du TELEMLY. Mais finalement, le mauvais il ne nous aura-t-il pas chassés tous de la rue ROVIGO ? |
Deux amis assassinés |
Notre rue, contre la Casbah, a souvent été la cible des terroristes. Louis FERRAIN demeurait boulevard GAMBETTA. En 1962, il est assassiné devant le café MONTPENSIER. Repéré, le tueur paiera de son crime peu après. Après les pseudo accords d'Evian, le terrorisme n'a pas cessé, évidemment. D'autant que certains voulurent se faire résistants de la dernière minute. Gérard JUAN habitait au 15 rue ROVIGO. Il est tombé devant la fleuriste des escaliers de l'avenue MAURICE. Une balle dans la nuque, sur le chemin de DORDOR. Ces courageux combattants avaient-ils lu un philosophe en vogue à l'époque, éclipsé depuis par Albert Camus*? Le grand penseur qui conseillait cette pratique de la libération. Revenu voir le quartier, un ami, Richard, rencontra un voisin d'autrefois, camarade de DORDOR. Rappelant le souvenir de Gérard JUAN, l'algérien prétendit qu'il avait été tué par erreur. Par là, il justifiait l'acte. Mais comment l'assassin ne se serait-il pas trompé en tirant dans le dos? NB. En 1963, après un meeting donné, salle de la Mutualité,
par Jacques Isorni pour l'amnistie des réprouvés de l'Algérie
française, j'ai raccompagné la mère et le frère
de notre camarade Ferrain assassiné dans le café Montpensier,
(Café de l'Anglais). Longue marche de nuit, propice aux durs souvenirs,
ressac des "Tournants Rovigo"... En longeant le Jardin du Luxembourg,
où des ombres de mousquetaires rodaient, ils avaient eux aussi
connu la prison, erraient peut-être en nous saluant. Madame Ferrain
l'aurait mérité... Luc |
N.D.R.L. |
* Jean Paul SARTRE a écrit en 1961 dans
une préface d'un livre de Frantz Fanon: " Abattre un Européen,
c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer un oppresseur et un opprimé:
restent un homme mort et un homme libre" |
Madame REBBOAH... |
Les ruelles nombreuses, les coulisses de la rue ROVIGO, nous servirent de terrain de jeux, sans nous transformer en voyoux... La Bardinais, Saussier, Garoué... malgré leur étroitesse, recevaient leur part de soleil, qui éclairrait nos parties de ballon et de "sfollet". Jusqu'à ce qu'une ménagère, lassée, nous asperge d'un couscoussier d'eau fraîche. Alors, avec ironie, nous demandions pourquoi ce châtiment, et remercions bien bas, avant de poursuivre plus loin... Il y avait d'autres terrains d'amusement. Richard, Edouard, Gilbert, Charly, la famille REBBOAH étaient accueillants. Que de batailles, d'aventures, chez les indiens et les mousquetaires... Prenant les lits pour des collines. Mélée qui se prolongeait dans la rue avec les ustensiles de cuisine... avant que Marcelle, la grande sur nous mette en déroute. Madame REBBOAH, la bonté même, mais poussée à bout, se retenait pour ne pas frapper. Parfois Monsieur REBBOAH, de retour du travail, survenait en pleine crise. Que de trésors de patience, il déployait pour ramener le calme... A l'heure du goûter, on avait tout de même droit à un quignon de pain, de lait concentré ou d'huile d'olive. Ah! Madame REBBOAH, votre façon de dire "mon fils"aurait comblé le cur d'un orphelin... |
Des coeurs glacés, tièdes. |
Ma mère m'envoyait chercher, en été, des "coeurs", moins chers à cause de défauts d'enrobage. Rue St-Augustin, devant les escaliers Chateaubriand menant aux quatre-Canons, la fabrique ne payait pas de mine. Elle embaumait la vanille et le chocolat, odeur que j'associe encore à la jeune fille, en blouse blanche, qui sortait du fond pour servir. Il restait à regagner la maison. Une course contre la montre, contre la fonte des glaces. En arrivant les bâtonnets ne tenaient plus, ça coulait entre les doigts... Un délice, et Zoubida montait de sa cave partager ces coeurs fondus. |
Quelques gens de notre rue... |
Qu'avait-elle de singulier la rue Rovigo,
en dehors de ses célèbres tournants? Sans être le
résidentiel Télemly, ou le prestigieux boulevard St-Saëns,
elle avait le charme de la vie. Animée, sans jamais être
fatigante, elle illustrait cette mixité sociale tant à la
mode aujourd'hui. Les gens n'y étaient ni meilleurs ni pires qu'ailleurs,
mais on n'y vieillissait pas dans l'indifférence du voisinage.
Une grande famille, une vraie convivialité, naturelle, qui n'était
pas encore de mode... Un âge d'or sans or... On n'en finirait pas
d'évoquer les gens qui façonnaient son âme. |
Noël dans le Djudjura... |
Connaissiez-vous le grand hôtel de Tizi-Ouzou, établissement
tenu par la famille Koller? Andrée, la fille de la maison, peu
avant Noël 1930, décide avec son frère de passer quelques
jours à la montagne. Michelet n'était pas loin, sympathique
station de sports d'hiver, avec son panorama et son air extraordinaires.
Là-haut, tout était simple, sans artifice et la montagne
pure. Andrée, alors âgée de 20 ans, se souvient toujours
de ses difficultés à rester debout sur ses skis, mais surtout
du cadeau que le Djurdjura s'apprêtait à lui offrir... |