Le 16 juin 1830, pendant que l’armée française, débarquée depuis deux jours sur la plage africaine, travaillait à mettre en état de défense la presqu’île de Sidi-Ferruch, un vieillard arabe se présenta aux avant postes. Il paraissait épuisé de fatigue : « Dieu est grand, disait-il à chaque instant ; c’est Dieu qui l’a voulu ; que la volonté de Dieu soit faite. »
D’après une notice laissée par Joanny Pharaon, interprète du gouverneur général en 1832, lequel devait être bien renseigné sur les péripéties de l’acte de dévouement de son infortuné collègue, les faits se passèrent d’une manière encore plus héroïque. Pendant que notre escadre était encore en mer, le général de Bourmont fit appel à un interprète de bonne volonté pour aller, avant le débarquement de l’armée, faire connaître aux indigènes le but de notre expédition ; Garoué s’offrit aussitôt, et, dans la nuit du 12 au 13 juin, c’est-à-dire la veille du débarquement, un bâtiment léger le déposa sur la plage, devant Torre-Chica ( Sidi-Ferruch) . Sous le burnous arabe, il s’engage dans l’intérieur des terres, et, profitant de l’obscurité, va accrocher des exemplaires de la proclamation aux branches des arbres et des buissons qu’il rencontre sur son chemin ; mais quand le jour vient, il ne tarde pas à se trouver en présence d’indigènes. Son accent syrien, ses manières polies même, ne tardent pas à faire remarquer qu’il est étranger au pays. On fait cercle autour de lui, on le questionne par curiosité ; et Garoué qui, avant tout, a une mission importante à accomplir, exhibe la proclamation, et en donne lecture à haute voix à ses auditeurs, qui déjà discutent et se livrent à des commentaires. Mais alors un agent turc survient au milieu de ce rassemblement, et , dès qu’il en apprend la cause, il arrête l’orateur et le conduit au pacha. Les deux versions s’accordent maintenant très bien sur l’issue de cette affaire. Le yatagan d’un chaouch fit rouler la tête du malheureux Garoué. Du reste, il est facile de se figurer l’indignation des Turcs en lisant la proclamation qui annonçait leur renversement. Un Algérien, Hassan ben Mohamed, devenu plus tard, lui aussi, interprète militaire, rapporte ce qui suit au sujet de la mort de Garoué : « Les Algériens s’attendaient à être attaqués par mer et à voir le débarquement s’effectuer sur la plage de l’Harrach, comme l’avait fait Charles Quint ; toutes leurs forces étaient concentrées de ce côté ; mais dès que le pacha eut connaissance de la descente de l’armée française à Sidi-Ferruch et du projet d’aborder la ville par les hauteurs, il mit en réquisition tous les habitants d’Alger pour monter, de la Marine à la Casbah et au Fort de L’Empereur, les boulets et les bombes nécessaires à la défense de ces deux forteresses. Je portais sur mes épaules deux boulets dans un couffin, lorsque , arrivé devant la porte de la Casbah, j’aperçus, au pied du mur, le cadavre d’un chrétien décapité. Un sabre planté dans sa poitrine, comme un clou dans une muraille, retenait un exemplaire de la proclamation des Français au peuple arabe. On me dit que c’était le corps de l’interprète qui avait apporté ces proclamations, que le pacha avait fait décapiter en lui sciant le cou contre la piscine de la fontaine de la Casbah. » ( Extrait du Livre d’Or de l’Algérie par Narcisse Faucon . 1890.p267 / 272) |
Merci à Théo Bruand d' Uzelle et le CDHA... |
( Extrait du Livre d’Or de l’Algérie par Narcisse Faucon . 1890.p267 / 272.) |