La guerre du pétrole dans notre quartier...


Plus sûrement que De Gaulle et le FLN, coalisés, le pétrole aura tué l'Algérie Française.
Début 1944, un géologue quitte l'hôpital Maillot, où on vient de le sauver d'un empoisonnement. Il s'installe dans un hôtel de la rue Henri-Martin... A Alger, il a bien de vieux amis, les Chasseloup-Laubat, mais se sachant menacé, il préfère ne pas les exposer. Si le gouvernement français n'est pas sensible à ses travaux, d'autres s'y intéressent beaucoup. Un soir, deux hommes frappent à sa porte, des émissaires de l'Aramco et de la Shell, leurs serviettes bourrées de billets de banque. Lui qui vit misérablement, ses semelles rafistolées avec de la ficelle, lui dont on se moque, qu'on traite de fou, regarde, stupéfait, les paquets de livres-sterling sur la table... Dédaigneux, il prie les visiteurs de ramasser leur argent et de déguerpir. Il ira dîner encore, faute de moyens, chez Ehrmann, un ami, géologue à la Faculté d'Alger...

Depuis 1922, il sillonne le désert, s'enfonçant dans des régions où les Touareg ne s'aventurent jamais de peur d'y mourir de soif... Ses observations vont bientôt bouleverser les connaisances officielles sur la géologie saharienne. Il découvrira que le sous-sol cache du pétrole et des métaux stratégiques, d'énormes quantités.

Lors de sa dernière exploration, en 1943, son guide est tué d'une balle dans la tête... Un autre tente de l'empoisonner, mais il échappera de justesse au bor-bor, redoutable poison berbère. A peine remis, il s'acharne, veut convaincre le gouvernement de l'importance des conquêtes de Leclerc, au Fezzan. Il alerte aussi ce qui compte d'hommes politiques sur des richesses que les Anglo-Américains lorgnent. Il indispose tout le monde par ses façons maladroites, son caractère hautain. De plus, certains, en haut lieu, travaillent pour d'autres intérêts que les nôtres. Finalement, il rencontre Leclerc, le convainc, mais le général meurt dans un étrange accident d'avion.

Un soir d'hiver 1949, Maurice Lelubre, son élève, brillant géologue de l'Université d'Alger, le raccompagne chez lui, rue du Bac. " ...soudain, raconte-t-il, à l'intersection des rues de Beaune et de Verneuil, une voiture fonce sur le trottoir, où nous nous trouvions Kilian et moi. Il n'eut que le temps de faire un saut de côté, se plaquant au mur..."

Conrad Kilian sera retrouvé, le 30 Avril 1950, pendu dans la chambre d'une pension de famille grenobloise, à l'espagnolette... Ses pieds traînent par terre... ses yeux sont fermés... le torse et les poignets, tailladés, les murs éclaboussés de sang. La veille, encore, une voiture a essayé de l'écraser. Deux jours suffisent pour que la police referme le dossier : suicide!
Après Leclerc, disparaissait celui qui voulait sauver le Sahara français, le premier explorateur à être entré dans Rhat, la cité interdite, celui que Zara, suzeraine des Touaregs Ahaggar, recevait, tel un chevalier d'autrefois, à ses Cours d'Amour où Dassine, la grande poétesse targuia, composait à sa gloire... Celui que les autorités françaises refusaient d'entendre... et qui vécut quelques jours près de chez nous...

Ecoutons-le se souvenir... "Aouiner... mon blanc méhari, beau compagnon qu'aimaient tant à parer les filles d'Ahaggar et qui savait cadencer la songerie dans l'infini...
Mes guerriers sont fêtés par les touareg Hoggar. Leurs montures sont parées de brides, de colliers, de sangles, de tapis, tressés et brodés par leurs dames, leurs sandales, leurs tuniques, leurs voiles portent en tifinar des noms d'amantes..."

Dans Appel pour une trêve civile, Albert Camus prévenait... "Les Français se voient contraints par le développement d'une guerre inexpiable de penser que les buts de cette lutte ne sont pas seulement la justice pour un peuple, mais la réalisation, aux dépens de la France, et pour sa ruine définitive, d'ambitions étrangères."

Mais que pesaient ces hommes, au poids de l'or et des intérêts sans patrie?

Sources :
- Au Hoggar, mission de 1922, par Conrad Kilian.
(Sté d'Editions Géographiques, Maritimes et Coloniales. 1925)
- La Mort Etrange de Conrad Kilian, Inventeur du Pétrole Saharien. par Pierre Fontaine. Editions Les Sept Couleurs, 1959.
- Conrad Kilian, par Euloge Boissonnade. Editions France-Empire, 1982.